La nature est mathématicienne (Platon)
Dans la forge scientifique, quel outil, quelle attitude de travail va prendre le chercheur ? Il faut comprendre que la physique moderne est née dans le cerveau de mathématiciens.
Vanité de l’empirisme, c’est-à-dire de la croyance que nos connaissances viennent de l’expérience par la simple observation, de ceux qui disent que « le savant multiplie les observations et les expériences ».
A priori, les lois des sciences expérimentales, physique, chimie, biologie, semblent des résultats a posteriori, c’est-à-dire obtenus en y étant allé voir, en interrogeant la nature, soit par l’observation simple, soit par le biais d’expériences. Certes il faut bien que le chercheur s’étonne devant les phénomènes aperçus, mais le travail de recherche scientifique ne consiste nullement à enregistrer les apparences expérientielles. La recherche des hypothèses à propose des phénomènes perçus se fait « en réfléchissant » (Galilée 1566-1642), c’est-à-dire en raisonnant à la façon des mathématiciens (more geometrico), au tableau noir.
Le génie des Pythagore, Platon, Archimède, Giordano Bruno, Galilée, Descartes, etc., c’est d’avoir découvert sous des phénomènes simples en apparence comme l’orange qui tombe, la voiture attelée qui roule, le navire sur l’eau, des lois. Sous des phénomènes d’une extrême complexité, l’esprit du chercheur doit concevoir et reconstruire au tableau noir une trame d’interactions.
Le monde de l’observation, de l’expérience ne nous montre rien, pire, parfois, elle montre le contraire de ce qui se passe en fait : la terre immobile, le soleil qui tourne autour. C’est à cause de son empirisme de bon sens que la cosmologie d’Aristote est fausse avec sa terre comme un bas absolu, centre de l’univers et une voûte céleste . Pour comprendre et reconstituer les faits, il faut parfois fermer les yeux à l’apparence, à la façon platonicienne en somme, et, sinon scruter son âme, du moins concevoir et réfléchir mathématiquement. C’est cela que l’on nomme le mathématisme de Pythagore, Platon, etc.
Platon : « La Nature est mathématicienne »
Galilée (Lettre à Liceti – 1641) : « La philosophie est écrite dans cet immense livre qui continuellement reste ouvert devant les yeux (je dis l’Univers), mais on ne peut le comprendre si, d’abord, on ne s’exerce pas à en connaître la langue et les caractères dans lesquels il est écrit. Il est écrit dans une langue mathématique, et les caractères en sont les triangles, les cercles, et d’autres figures géométriques, sans lesquels il est impossible humainement d’en saisir le moindre mot ; sans ces moyens, on risque de s’égarer dans un labyrinthe obscur ».
Galilée (Dialogue sur les deux grands systèmes du monde) : « Vouloir traiter des questions naturelles sans géométrie, c’est tenter de faire quelque chose qui ne peut être fait ».
Descartes (Discours de la méthode – 1637) : « Ces longues chaînes de raisons, toutes simples et faciles, dont les géomètres ont coutume de se servir, pour parvenir à leurs plus difficiles démonstrations, m’avaient donné l’occasion de m’imaginer que toutes choses, qui peuvent tomber sous la connaissance des hommes, s’entre suivent en même façon ».
Alain : « Qui n’est pas géomètre ne comprendra jamais bien ce monde où il vit ».
C’est donc par une vision mathématicienne que Galilée a compris que le soleil était immobile tandis que la terre tournait sur elle-même, de même qu’il comprenait ce que les empiristes et l’inquisition ne comprenaient pas, à savoir qu’un corps lancé verticalement en l’air retombera au même endroit de la terre, bien que celle-ci ait tourné (cet argument a longtemps justifié l’immobilité de la terre). De même, disait Galilée, qu’un boulet qui tombe du haut du mât d’un navire tombera au pied du mat et non dans l’eau. Autrement dit qu’un corps peut être en repos par rapport à un système (celui dont il fait partie) tout en étant en mouvement : le boulet avance avec le mat, il est donc immobile par rapport à ce dernier, tandis qu’il est en mouvement par rapport à un autre système (le rivage).
« Avez-vous fait cette expérience, vous qui en parlez avec tant d’assurance ? », lui demandait-on. Galilée répond : « Cette expérience est parfaitement inutile. Sans expérience, je sais que l’effet se produira comme il doit se produire ».
L’expérience fut réalisée par Gassendi en 1640 à Marseille.
De même, c’est par le raisonnement, la déduction mathématique que Galilée a établi le fondement de la chute des corps, la loi de la chute libre.
Galilée – lettre du 16 octobre 1604 adressée à son ami Paolo Sarpi – décrit assez bien la démarche des savants : « Réfléchissant aux problèmes du mouvement […] j’en suis venu à une proposition qui paraît suffisamment naturelle et évidente. Laquelle étant supposée, je démontre après tout le reste, notamment que les espaces franchis par le mouvement naturel sont dans la proportion double du temps et que, par conséquent, les espaces franchis dans des temps égaux sont comme les nombres impairs à partir de l’unité . »
Ce n’est que bien plus tard que Galilée admit la nécessité de l’expérience. Mais, dans son esprit, elle n’est pas faite pour découvrir, instruire ou apprendre, mais pour illustrer, confirmer ou infirmer les résultats de la théorie. Voici la description qu’il en donne dans Ses dialogues sur les sciences nouvelles :
« Dans une règle, ou plus exactement un chevron de bois, long d’environ 12 coudées, large d’une demi-coudée et épais de 3 doigts, nous creusions un petit canal d’une largeur à peine supérieure à un doigt, et parfaitement rectiligne ; après l’avoir garni d’une feuille de parchemin bien lustrée pour le rendre aussi glissant que possible, nous y laissions rouler une boule de bronze très dure, parfaitement arrondie et polie. Plaçant alors l’appareil dans une position inclinée, en élevant l’une de ses extrémités d’une coudée ou deux au-dessus de l’horizon, nous laissions, comme je l’ai dit, descendre la boule dans le canal, en notant, selon une manière que j’exposerai plus loin, le temps nécessaire à une descente complète. On recommençait l’expérience plusieurs fois pour bien s’assurer de la durée du temps et l’on n’y trouvait pas de différence, même de la dixième partie d’un battement du pouls ; ensuite, on faisait descendre la boule seulement jusqu’au quart du canal et, en mesurant le temps, on trouvait qu’il était exactement la moitié de l’autre ».
On notera « l’on n’y trouvait pas de différence, même de la dixième partie d’un battement du pouls ». Or il décrit plus loin les techniques pour mesurer le temps :
« Pour ce qui est de la mesure du temps, un grand seau plein d’eau était suspendu en l’air, un petit orifice dans son fond laissait échapper un petit filet d’eau qu’on recevait dans un petit vase pendant tout le temps de la descente de la bille le long du canal. Les quantités d’eau recueillies étaient pesées sur une balance très exacte, les différences et les rapports de leurs poids donnaient les différences et les rapports des temps ».
Un sablier ou plutôt un filet d’eau que l’on recueille et que l’on pèse. La bille glisse sur un plan incliné pour que la chute soit plus longue : bonjour les frottements ! Sa remarque signifie surtout qu’il est suffisamment sûr de lui pour considérer l’écart par rapport à la théorie comme négligeable .
Mieux, aux aristotéliciens qui affirment que la vitesse d’un corps en chute libre est proportionnelle à son poids et disent l’avoir appris par expérience, il oppose une « expérience de pensée scientifique ». Supposons, dit-il, qu’on relie deux objets de poids différents par une corde et qu’on les lâche d’une certaine hauteur (de la tour de Pise, par exemple), à quelle vitesse vont-ils tomber ? Une vitesse intermédiaire, le plus jeune freinant le plus lourd ? Ou alors, en prenant le poids total, plus rapidement que le plus lourd des deux ? Ainsi, simplement en imaginant cette chute libre, Galilée met à mal la théorie aristotélicienne du mouvement, basée soi-disant sur l’expérience (chacun pouvant constater que si on lâche une plume et un poids d’un kilo, le deuxième tombera plus vite au sol que le premier).
Voici un deuxième exemple de découverte se faisant a priori. Le Verrier, à partir de calculs mathématiques déduisit l’existence d’une planète, Neptune, et calcula sa position et sa masse à partir des perturbations d’une autre planète Uranus, de la loi de Newton et de la loi de Bode. Arago écrivit « Monsieur Le Verrier a vu Neptune au bout de sa plume ».
En bref, le travail de recherche scientifique se fait a priori. C’est en réfléchissant que le chercheur conçoit les principes et les questions qu’il va poser à la nature comme un juge à un témoin. Dans la préface de la seconde édition de La critique de la raison pure, Kant s’enthousiasme et parle de juridiction de l’esprit sur l’expérience :
« Quand Galilée fit rouler ses sphères sur un plan incliné avec un degré d’accélération dû à la pesanteur déterminé selon sa volonté, quand Torricelli fit supporter à l’air un poids qu’il savait lui-même d’avance être égal à celui d’une colonne d’eau à lui connue, ou quand, plus tard, Stahl transforma les métaux en leur ôtant ou restituant quelque chose, ce fut une révélation lumineuse pour tous les physiciens. Ils comprirent que la raison ne voit que ce qu’elle produit elle-même d’après ses propres plans et qu’elle doit prendre les devants avec les principes qui déterminent ses jugements, suivant des lois immuables, qu’elle doit obliger la nature à répondre à ses questions et ne pas se laisser conduire pour ainsi dire en laisse par elle ; car autrement, faites au hasard et sans aucun plan tracé d’avance, nos observations ne se rattacheraient point à une loi nécessaire, chose que la raison demande et dont elle a besoin. Il faut donc que la raison se présente devant le nature tenant, d’une main, ses principes qui seuls peuvent donner aux phénomènes concordants entre eux l’autorité de lois, et, de l’autre, l’expérimentation qu’elle a imaginée d’après ces principes, pour être instruite par elle, il est vrai, mais non pas comme un écolier qui se laisse dire tout ce qu’il plaît au maître, mais au contraire comme un juge en fonctions qui force les témoins à répondre aux questions qu’il leur pose ».
Et mon professeur, Chambus, d’en faire autant en nous présentant cette image grandiose du scientifique bousculant la nature, l’obligeant à confirmer ses idées.
Pourtant…
Déjà dans son cours, il devait bien reconnaître que c’est l’expérience – en tant que témoin – qui a, au final, le dernier mot. Le Verrier s’est un peu trompé sur la distance de Neptune, de huit fois la distance de la terre au soleil, car il l’avait déduite de la règle de Bode et cette règle absurde, basée sur des nombres qui n’apparaissent qu’à cause du choix que l’on a fait pour définir l’unité astronomique (1 uA=la distance entre la Terre et le Soleil, soit 150 millions de kilomètres – pourquoi privilégier la Terre ?) a depuis été rejetée. Si on découvrit la planète Pluton à partir des perturbations de Neptune, Vulcain, supputée à partir de celles de Mercure, n’existe pas. Mais il insiste : cela ne change rien, l’expérience n’a pour rôle que d’illustrer, confirmer ou infirmer des calculs a priori, et dans ces cas, il a infirmé.
Alors, revenons un instant sur Galilée puisque c’est un peu lui qui est à l’origine de cette idée de la primauté de l’esprit sur l’expérientiel.
En réalité, avant de produire sa loi, il a d’abord observé la nature et il le dit :
« Quand donc j’observe qu’une pierre tombant d’une certaine hauteur à partir du repos acquiert successivement de nouvelles augmentations de vitesse, pourquoi ne croirais-je pas que ces additions ont lieu selon la proportion la plus simple et la plus évidente ? »
Il s’agit simplement d’observer qu’une pierre qui roule dans une pente, à partir d’une position de repos, « acquiert de la vitesse », c’est-à-dire roule de plus en plus vite. Il décide alors de tester la relation la plus simple qui soit : v=k.t (en posant à l’instant t=0, l’objet au repos et certain, grâce à son expérience par la pensée que k est indépendant de la masse de l’objet).
Reste l’expérience du plan incliné. Celle-ci est en réalité beaucoup plus humble que celle décrite dans Ses dialogues sur les sciences nouvelles : il fait rouler des billes sur un support incliné sur lequel il a disposé des clochettes, que la bille fera sonner en passant. Galilée va ainsi pouvoir déplacer les sonnettes sur des intervalles variables le long du parcours de la bille, jusqu’à obtenir un tintement régulier. Tintement régulier = même espace de temps entre deux clochettes. Il ne reste plus qu’à mesurer les intervalles et il obtient la suite 1, 3, 5, 7… La chute des corps semble suivre une étrange « loi des nombres impairs ».
« Les espaces parcourus en des temps égaux par un mobile partant du repos ont entre eux même rapport que les nombres impairs successifs à partir de l’unité », écrit-il .
Le dispositif reste aussi imprécis que le précédent, mais il est ici adaptable et l’on aurait pu tout aussi bien découvrir une autre loi.
Bref, comme Claude Bernard l’écrira au XIXe siècle, la méthode expérimentale repose sur un « trépied » : le sentiment ou l’observation, la raison et l’expérience. Il me semble que mon cours oublie un peu la première phase, phase devenant de plus en plus importante avec l’arrivée d’instruments de mesure de plus en plus performants.
Méthode expérimentale
Premier temps : la phase d’observation. On observe le phénomène dont on cherche l’explication.
- Il faut savoir s’étonner, c’est-à-dire avoir l’idée de chercher l’explication du phénomène.
- Les faits peuvent être lointains, peu accessibles (songez à l’astronomie), hostiles, voire dangereux (étude d’une épidémie).
- On peut manquer d’instruments suffisants et adéquats. C’est le cercle vicieux Science – (pour étudier, il me faut des appareils, mais pour avoir ces appareils, il me faut des connaissances) ou vertueux (plus j’ai de connaissance, plus mes instruments seront perfectionnés, plus j’aurai de connaissance).
- Deuxième temps : on conçoit l’hypothèse. Cela se fait en réfléchissant au tableau noir (Galilée), en recoupant les observations.
- La question doit être mûre : Rabig et Ramsay découvrent l’argon, cela permet la découverte de tous les autres gaz rares. Technique
- Il faut du génie pour faire une hypothèse : il y a beaucoup de chercheurs, mais peu de « trouveurs », considérés alors comme des savants !
Troisième temps : on teste l’hypothèse. C’est l’expérimentation. Exemple : Pascal va vérifier l’hypothèse de Torricelli. - Il faut inventer le procédé : comment vérifier la théorie d’Einstein ?
- Il faut le réaliser. Ce qui est loin d’être simple : Il faut tout contrôler pour éviter un biais, il y a des difficultés techniques (on retrouve le cercle vicieux science – technique), des problèmes budgétaires.
1) Quand l’expérimentation a réussi, l’hypothèse devient une loi. - L’hypothèse, c’est la loi supposée ;
- la loi, c’est l’hypothèse vérifiée ;
- mais toutes deux ont exactement la même formulation.
Pour finir, revenons un instant sur ces expériences par la pensée qui donne l’impression que l’esprit n’a pas besoin de l’observation pour progresser et évoquons celle des jumeaux, proposée par Paul Langevin (1911) :
Des jumeaux, Albert et Bertrand. Albert fait un voyage aller-retour dans l’espace en fusée à une vitesse proche de celle de la lumière.
D’après la théorie de la relativité restreinte, pour celui qui est resté sur Terre la durée du voyage est plus grande que pour celui qui est parti. Quand ils se retrouvent, Albert est plus jeune que Bertrand.
Toutefois, les lois de la physique restant identiques par changement de référentiel, pour Albert, c’est lui qui est immobile et c’est son frère et la Terre qui s’éloignent à grande vitesse. Dans ces conditions, quand ils se retrouvent, Bertrand est plus jeune qu’Albert.
Le paradoxe a fait longtemps débat et l’expérience a tranché : des observations, notamment sur les durées de vie (de la création à l’annihilation) de muons, ont confirmé la première conclusion.
Problèmes et difficultés propres à la biologie
En biologie, il y a des problèmes techniques propres à la discipline, dont la complexité et la solidarité des fonctions organiques. En particulier, lorsque l’on fait une étude statistique, les biais sont nombreux. Par exemple, si on veut répondre à la question « le porc est-il plus ou moins sain que le bœuf ? », les gens qui consomment plutôt l’un que l’autre seront peut-être plus sportifs ou socialement plus aisés (on sait que le niveau social influe sur l’état de santé d’une personne).
Il y a des problèmes d’éthique (que l’on retrouve en psychologie), car on intervient dans un organisme vivant : pensez au chien de Pavlov : « À partir de 1889, le physiologiste Ivan Pavlov effectuait une recherche sur la salivation des chiens pour un programme de recherches sur la digestion. Pour ce faire, il pratiquait une incision dans la joue d’un chien et y insérait un tuyau qui récoltait la salive produite par la glande salivaire de l’animal » (Wikipédia).
On pense également à ces vaches où on avait pratiqué des hublots pour regarder en temps réel le contenu de leur estomac (vidéo de l’association L214 – 2019).
Bien sûr, le problème est encore plus délicat lorsqu’il s’agit d’intervenir sur l’homme.
Par exemple, les généticiens seront bientôt capables de modifier le patrimoine génétique d’un individu, les hommes pourront choisir leur descendance. Mais qui choisira ? Qui assumera la décision de favoriser la naissance de tel type d’enfants, d’éviter le développement de tel autre type.
Dans les années soixante, il y avait un film de science-fiction où tous les individus étaient identiques, car tous avaient voulu avoir pour descendant le meilleur, le plus intelligent, le plus fort, le plus beau, puis l’humanité avait disparu de la planète, car c’est notre diversité qui nous permet de résister aux virus (lorsqu’en agriculture, on a privilégié tel plant de tomates par rapport aux autres, on a rendu le fruit fragile, à la merci d’un parasite).
Inversement, en utilisant la génétique, on pourrait mettre en place une société basée sur une soi-disant inégalité biologique entre les individus : le film Rendez-vous à Gattaca en est une illustration.
Il y a enfin le problème de la finalité de fait. Il faut se rappeler que les sciences positives ne cherchent pas le pourquoi, c’est-à-dire le but possible en vue de quoi se produisent les phénomènes naturels, car on tomberait vite dans la fantaisie, en tout cas dans l’invérifiable. L’explication mécaniste (le comment) suffit à ces sciences.
Or en biologie, les organes et les fonctions sont finalisés c’est-à-dire servent à quelque chose. On peut se contenter en physique de décrire la chute des corps, mais on veut savoir à quoi servent les dents larges, les dents pointues, l’œil, la scie de la sangsue, les ailes de l’oiseau, les hormones, l’insuline.
La biologie est la seule science de la nature où l’explication est double :
• Une explication mécaniste (voilà comme les choses se passent : le pancréas produit l’insuline et voici sa formule chimique)
• Une explication finaliste (et voici à quoi sert l’insuline). Et quand on ne trouve pas à quoi ça sert, on a l’impression de ne pas comprendre.
Problèmes et difficultés propres à la psychologie
La psychologie se veut une science positive et expérimentale comme les autres. Il s’agit pour le chercheur d’établir les lois des phénomènes psychologiques afin d’expliquer et de prévoir.
Les difficultés viennent de ce que le fait psychologique est extrêmement mobile et peu accessible. Comment faire pour le saisir afin de l’étudier ? Les procédés mis en œuvre (les méthodes de la psychologie) se partagent en trois groupes : les méthodes subjectives, objectives ou projectives.
L’introspection (du latin « introspectus ») désigne l’activité mentale que l’on peut décrire métaphoriquement comme l’acte de « regarder à l’intérieur » de soi : le chercheur porte une forme d’attention à ses propres sensations ou états. Il s’agit donc de méthode subjective (psychologie à la première personne).
Descartes en a posé dans ses Méditations les fondements en affirmant non seulement le principe de la conscience réfléchie (cogito), mais aussi celui de la « transparence » de soi à soi. C’était la principale méthode utilisée au début de la psychologie expérimentale, à la fin du XIXe siècle. Mais on en saisit très vite les insuffisances et les limites.
• Manque de précision, de regroupements, de comparaisons, d’impartialité.
• L’introspection ne connaît qu’un homme (celui qui s’introspecte).
Et c’est un individu très particulier puisque c’est le chercheur, on peut le supposer adulte, normal (sic) et civilisé, intéressé par l’humain. Comment pourrait-il dire à un autre « tu vas réagir ainsi parce que, moi-même, je réagirai ainsi » ou « tu as tel comportement donc tu éprouves tel sentiment parce que, moi-même, j’ai ce comportement lorsque j’éprouve ce sentiment » ? Surtout si l’individu est éloigné de lui par le sexe, la race, la nationalité, la religion, la classe sociale, l’âge (psychologie des enfants), etc.
• Enfin, elle n’atteint par définition que le conscient, puisque, par définition, l’inconscient lui échappe.
L’introspection ne peut donc saisir que la moitié d’un seul homme bien particulier. Elle ne permet ni la psychologie infantile, ni la psychologie animale, ni la psychophysiologie, ni la psychosociologie. Cependant, elle reste d’actualité parce qu’elle seule est capable de saisir la vie psychique dans son aspect intérieur et vécu, ses enseignements sur la psychologie humaine sont plus sûrs et plus fins. Pour étudier le comportement humain, l’introspection est utilisée conjointement avec les méthodes objectives.
John Broadus Watson (1878-1958) décide de se cantonner à l’étude rigoureuse des faits psychologiques chez les autres ou plutôt sur les autres, car on n’est pas dans leur peau. Il se limite donc à observer les comportements (behavior en anglais d’où le nom de behaviorisme). Ses méthodes sont appelées alors méthodes objectives (psychologie à la deuxième personne : on observe l’autre).
L’étude de la vie intérieure est inutile, car chaque fait psychique a, pour les promoteurs du behaviorisme deux aspects, un vécu intime, subjectif, et un aspect extérieur, objectif, fonctionnel, qu’on appelle comportement. Les lois entre les comportements étant les mêmes qu’entre les aspects subjectifs, connaître les uns, c’est connaître les autres avec cette différence que mes lois vont être universelles et que je peux étudier le comportement des enfants, des animaux, des fous, etc.
La peur, par exemple, est un bouleversement intérieur, mais aussi une mélodie physique (fuite, tremblements, cris, etc.).
Maintenant, intéressons-nous aux procédés de cette méthode objective.
• On fera des enquêtes, des questionnaires de toutes sortes.
• On étudiera des mémoires, des récits.
• On pourra faire des expériences en mettant les sujets dans des conditions particulières et en leur demandant ce qu’ils éprouvent. Exemple : un film comique est-il plus drôle après un film gai ou un film triste ?
Wikipédia : L’expérience de Milgram réalisée entre 1960 et 1963 est un exemple particulièrement frappant : il s’agissait de mesurer le niveau d’obéissance à un ordre même contraire à la morale. Des sujets acceptent de participer, sous l’autorité d’une personne supposée compétente, à une expérience d’apprentissage où il leur sera demandé d’appliquer des traitements cruels (décharges électriques) à des tiers sans autre raison que de « vérifier les capacités d’apprentissage », cette dernière devant apprendre une liste de mots et la restituer sous peine de recevoir une décharge électrique toujours plus forte. La décharge maximale était 450 volts. Le taux de personnes ayant administré ce voltage a été de 2/3 (les médecins avaient prévu un pour mille) et en moyenne, on a infligé des voltages de 360 volts (à partir de 270, la personne hurle de douleur).
• On multipliera les tests sur le niveau mental, sur l’intelligence, la mémoire, l’attention, l’imagination, sur les centres d’intérêt, sur le caractère, etc.
Ces techniques positives ont particulièrement réussi, multipliant les connaissances scientifiques sur le comportement avec des applications sociales, professionnelles (orientation), commerciales (publicité), médicales et judiciaires (comportement des délinquants, remédiation des criminels, profileur), scolaires (techniques éducatives).
Objection : les réponses retenues font partie d’un ensemble de possibilités soigneusement prédéterminées (par exemple, un questionnaire à choix multiples) pour être mesurables.
Les méthodes objectives ne s’intéressent pas au moi profond. Quand on pose une question spécifique à un sujet, la réponse donnée est consciemment formulée, elle ne reflète pas l’Inconscient du sujet ni ses motivations ou ses attitudes implicites. Voici un exemple réel et particulièrement idiot :
Supposons vous êtes en voiture sur une route isolée, lorsque vous tombez sur un accident de la circulation : une maman qui a perdu le contrôle de son véhicule, son enfant de 3 ans est à l’arrière du véhicule. Les 2 victimes sont sérieusement blessées (disons, un membre décapité comme une jambe), mais vous avez la possibilité de sauver l’une d’entre elles en faisant un garrot, en attendant les secours. Qui sauvez-vous ?
Restent donc les méthodes projectives. Dans mon cours, je lis cette définition : « Les méthodes projectives consistent à dire “tu as tel comportement, par exemple tu ris, tu pleures, donc tu éprouves telle chose que j’éprouve moi-même quand je me comporte ainsi. Je projette ainsi mon moi sur toi », rejetant alors cette méthode « la méthode projective qu’il faut laisser donne l’illusion de la connaissance d’autrui ». Il s’agit en réalité d’une critique de la méthode subjective (cf. précédent).
En réalité, les méthodes projectives ne correspondent pas du tout à cela, ce sont des techniques d’étude qui découlent d’une idée : toute perception met en jeu deux éléments, l’objet perçu et l’objet percevant. Une méthode projective repose sur le principe selon lequel plus l’objet est clair et précis, moins la personne est impliquée dans la perception, et surtout, inversement : plus l’objet présenté est ambigu, plus la personne percevant cet objet devra puiser dans son esprit et ses propres représentations, pour interpréter l’objet, lui donner une signification, elle devra se projeter en lui. Présenter un objet ambigu permet alors, selon ce principe, d’explorer la psyché de la personne percevant.
Exemples et problématiques associées :
Le TAT (Thematic Apperception Test) : dans ce test, on présente des photos de personnes neutres dans un environnement qui l’est tout autant. On demande au patient d’interpréter la scène, de décrire la personne, ce qu’elle fait, ce qu’elle pense, ce qu’elle espère, ce qu’elle va devenir, etc. Pour répondre, le sujet s’identifie au personnage et projette sur elle sa personnalité, pour construire une histoire, passée, présente et future dont la création sera un reflet de sa propre histoire et de lui-même.
Le test de Rorschach consiste en présenter une série de planches sur lesquelles sont dessinées des taches d’encre noire, ou de couleur, n’ayant a priori aucune forme ou aucun sens. On demande au sujet « à quoi pourrait ressembler chacun de ses dessins ». Celui-ci fait appel à ses propres souvenirs, ses propres représentations, pour ajouter une signification à chaque dessin. Ce faisant, il dévoile partiellement cette pensée : ce qui l’obnubile (par exemple, un obsédé verra dans les dessins des scènes sexuelles…), son état d’esprit (monstres ou scènes agressives, ou au contraire, fleurs ou arbres…), ou encore ses associations d’idées, etc.
Il existe d’autres tests : psychodrame, fables.
Objection : Il faut être conscient que l’interprétation (de l’expérimentateur) des interprétations du sujet percevant reste subjective, que l’expérimentateur projette son moi sur celui du patient. Exemple : celui-ci trouve qu’une tache est un papillon. On peut y voir une âme poétique, alors qu’en réalité il déteste son existence et voudrait être un papillon pour s’envoler, etc.
Pour conclure, les techniques objectives ont donné des connaissances scientifiques et ont de nombreuses applications
- Sociales et professionnelles : tests d’orientation
- Commerciales : publicité
- Médicales et judiciaires : psychanalyse et psychologie des délinquants
- Scolaires : méthodes d’apprentissages, techniques de mémorisation.
Mais leur efficacité vient de ce qu’elles n’essaient pas de comprendre l’individu. Les techniques subjectives permettent de saisir l’activité mentale d’une personne, sa conscience, les techniques projectives vont chercher le subconscient ou tenter de le faire.
Laissons à Alain le mot de la fin sur ces méthodes expérimentales en psychologie : « ce qui donne des ouvertures sur l’âme des hommes, c’est moins la science positive que la poésie ».
Problèmes et difficultés propres à la sociologie
Visant la compréhension des phénomènes sociaux, la sociologie est bien une « science de l’homme », on s’intéresse aux mécanismes qui déterminent les comportements des hommes vivant en société. Un groupe humain ne peut se réduire à une somme d’individus juxtaposés ; son existence et sa persistance sont plutôt le fruit d’interactions complexes qui fait l’objet de la sociologie.
En 1985, Émile Durkheim, en publiant les Règles de la méthode sociologique précise l’objet, les méthodes propres à cette discipline. Il y a des liens étroits entre sociologie et histoire : les travaux des historiens fournissent des documents aux sociologues, les sociologues apportent leurs expertises pour expliquer certains mouvements, mais l’objet de l’histoire est le passé, celui de la sociologie est l’état présent de la société.
Quant au partage des tâches entre psychologues et sociologues, les premiers se doivent de réfléchir aux mécanismes sociétaux qui viennent expliquer le comportement individuel et les seconds se poseront la question de savoir si tel ou tel comportement est majoritaire ou non dans tel ou tel groupe et essayeront d’en expliquer les causes, notamment à travers l’éducation d’une population, etc.
La sociologie peut expliquer la conduite d’un individu (comme le psychologue), mais il mettra en avant l’ordre social (règles, idées, valeurs morales, croyances collectives) et en second plan la personnalité de l’individu, alors que le psychologue fera l’inverse.
Pour illustrer l’importance des facteurs psychologiques dans les explications sociologiques, il suffit de rappeler comment Max Weber a montré l’importance de l’arrivée du protestantisme dans le développement du capitalisme moderne. Avant Luther, accumuler du capital était moralement condamnable, il devient bien au contraire le fruit d’un ascétisme.
Pour toutes les « sciences humaines », le problème de leur scientificité est posé.
Comte, Cours de philosophie positive : « Maintenant que l’esprit humain a fondé la physique céleste, la physique terrestre, soit mécanique, soit chimique, la physique organique, soit végétale, soit animale, il lui reste à terminer le système des sciences d’observation en fondant la physique sociale. […] Aucun phénomène observable ne saurait évidemment manquer de rentrer dans quelqu’une des cinq grandes catégories dès lors établies des phénomènes astronomiques, physiques, chimiques, physiologiques et sociaux ».
Certes les méthodes sont désormais connues et pour la plupart validées : enquêtes, analyses de documents écrits, expériences (on crée artificiellement une situation permettant de vérifier ou d’infirmer telle ou telle hypothèse). Mais on se heurte à l’implication du sociologue dans l’étude sociologique : questions orientées, interprétation orientée (un sociologue dira « un individu sur trois refuse… » tandis que l’autre affirmera que « deux personnes sur trois approuvent… »). Mais le gros problème de la sociologie (en particulier et des sciences humaines en général) est le manque de prévisions : on peut expliquer le passé, on peut comprendre le présent, on a du mal à prévoir l’avenir, l’évolution de la société. Pensez aux mouvements politiques : mai 68, gilets jaunes, etc.