PROMÉTHÉE, dans son atelier.
Couvre ton ciel, Zeus, de nuages,
Et comme l’enfant qui décapite des chardons,
Exerce ta force sur les chênes
Et sur les cimes des monts.
Il faut bien, pourtant,
Que tu laisses subsister ma terre
Et ma cabane que tu n’as point bâtie
Et mon foyer dont tu m’envies la flamme.
Quand j’étais enfant et ne savais nulle chose,
Je tournais vers le soleil mon œil égaré,
Comme s’il y avait eu par-delà une oreille pour entendre ma plainte,
Un cœur comme le mien pour compatir à l’affligé.
Qui m’a secouru contre l’orgueil des Titans ?
Qui m’a sauvé de la mort, de l’esclavage ?
N’as-tu pas tout accompli toi-même,
Ô cœur saintement embrasé,
Et, dans ton aveuglement, tu envoyais, jeune et bon,
Tes Actions de grâces ferventes au Dormeur là-haut !
Moi, t’honorer ? Pourquoi ?
N’as-tu jamais apaisé les douleurs de celui qui plie sous son fardeau ?
N’as-tu jamais essuyé les larmes de celui qu’étreint l’angoisse ?
Qui m’a forgé un cœur d’homme ?
Sinon le Temps tout puissant et l’éternel Destin,
Mes maîtres et les tiens ?
Croyais-tu peut-être
Que j’allais haïr la vie, fuir dans le désert,
Parce que toutes les fleurs de mes rêves n’ont pas fructifié ?
Me voici, je pétris des hommes à mon image,
Une race pareille à moi,
Pour souffrir, pleurer, vivre et jouir
Et pour te mépriser,
Comme moi.
Johann Wolfgang von Goethe : Fragment dramatique, Acte III
Dans ce poème tout est dit des rapports de l’individu et de Dieu, de la condition humaine : la quête d’une oreille attentive, le silence pour toute réponse, la nécessité de concevoir et de bâtir tout seul son existence, cette vie que l’on accepte même si « toutes les fleurs de nos rêves n’ont pas fructifié ».
La métaphysique ne fait pas partie de mon cours de philosophie (rappelons-le, il s’agit d’une Terminale scientifique), excepté une partie de la réflexion sur l’homme, sur sa place dans la Nature.
Pourtant la question, pour le philosophe, est d’importance, car, en s’interrogeant sur la nature de l’univers, l’existence ou non de choses immatérielles (Dieu, l’esprit humain), sur la nature et la place de l’homme, il définit le cadre dans lequel bâtir son éthique, c’est-à-dire une manière de se comporter dans la vie, de définir entre différentes actions possibles celles à faire et celles à ne pas faire, de définir le bien et le mal.
La première question que l’on devrait se poser – et qu’heureusement on ne se pose pas tous les jours en se rasant – est « pourquoi suis-je là ? ». Et cette question se décompose en deux sous-questions. Là, c’est-à-dire le monde qui nous entoure et au-delà, et c’est la question de l’Être, de la Nature, de Dieu ; je et c’est la question de l’homme et de sa place dans l’univers.
L’Être
La métaphysique, la science qui vient après (méta) la physique ou la science qui se trouve au-delà (méta) de la nature (phusis), consiste à remonter au-delà des apparences sensibles à la recherche « de l’être en tant qu’être » (Aristote). Grossièrement, elle tente de répondre à la question : pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?
Pourquoi l’Être et pas la Nature ou l’Univers ? Parce que cela permet d’y inclure subrepticement la Pensée, la conscience, l’âme et… Dieu.
La difficulté, c’est que l’on a, par définition (au-delà de la nature), rien de bien concret à se mettre sous la dent.
Puisque l’on se refuse pour l’instant à séparer la matière (l’univers) et l’esprit (la pensée, Dieu, etc.), la seule méthode consiste à essayer à partir de la seule définition du concept d’en déduire ses propriétés (existence, longévité, etc.). On appelle cette méthode l’ontologie, d’où ce caractère abscons (et rigolo) de toute discussion sur l’Être.
C’est à Parménide d’Élée au commencement du Ve siècle avant Jésus Christ que revient la découverte métaphysique de l’Être. Avant, on parlait plutôt de la Nature. Reconnaissons-lui une excuse, c’était en écrivant un poème.
Voici quelques extraits :
« Nécessaire est ceci : dire et penser de l’étant l’être ; il est en effet être, le non-être au contraire n’est pas ».
[Note : beaucoup peuvent penser qu’avant la création, il n’y avait rien, peut-être même peuvent-ils penser que l’univers a surgi du néant. Que nenni, car le néant (le non-être), par définition, n’est pas !]
« La loi est que ce qui est ne soit pas sans terme, car il est sans manque ; mais n’étant pas il manquerait de tout ».
« L’Être est un ».
« L’Être est ce qui est »[1] ou mieux « l’Être est ce dont on ne peut pas ne pas penser qu’il est » !!!!
Le poème précise aussi que l’Être ne peut pas être non-Être, etc. Pour Parménide, la pensée faisait partie de l’Être et l’on ne pouvait pas penser ni exprimer ce qui n’est pas.
« Ce qui peut être dit et pensé doit être, car l’être est et le néant n’est pas. » Fragments II, VIII 43 à 47
« Puisqu’il est impossible, on ne peut ni connaître le non-être ni l’exprimer en paroles.[2] »
Gorgias (que Platon présente comme le chef de file des sophistes, ceux dont la philosophie est le discours roi et leur école la rhétorique) va démolir ces deux affirmations ontologiques en utilisant lui aussi la logique dans son Traité du non-être, il va prouver rigoureusement[3] (sic) qu’il n’y a pas d’ontologie possible. Hélas, les sophistes vont perdre face à Socrate et à Platon, leur éloge du discours pour le discours, en délaissant toute morale[4], leur faisant perdre toute crédibilité, la question de l’Être est restée, donnant lieu à de nombreuses divagations philosophiques, très poétiques et peu audibles.
La Nature
En le limitant au strict aspect matériel, en renvoyant ailleurs le problème de l’esprit, de l’âme, les questions sur l’Être correspondent à celles sur l’univers et redeviennent intéressantes, car on peut comparer les spéculations des philosophes (métaphysique) avec celles des scientifiques (cosmologie).
Est-il (l’univers) fini non seulement dans l’espace, mais aussi dans le temps (la loi est que ce qui est ne soit pas sans terme, car il est sans manque) ? Est-il « homogène » (L’Être est un) ? Est-il toujours concret ? On pense aux ondes, à l’énergie, à la gravité et l’affirmation « L’Être est ce qui est » devient une question.
On a du mal à imaginer l’infini, l’éternité. Un univers en quelque sorte immobile, étendu dans toutes les directions, sans frontière, sans fin. En même temps, on se dit : s’il y a un début, qu’y a-t-il avant ? s’il y a une fin, qu’y a-t-il après ? s’il y a une frontière, qu’y a-t-il au-delà ?
La réponse antique en ce qui concerne l’espace a été simple : la sphère céleste comme fin de l’univers, avec un rayon indéterminé, les étoiles les plus lointaines y étant accrochées. Au-delà, on ne s’interroge pas sur ce qu’il y a, c’est le domaine des dieux et pour eux, l’infini a un sens. Notons que la terre, plate, est elle-même limitée par une frontière faite d’océans. De Ptolémée, Eudoxe, Hipparque jusqu’à Copernic, elle a permis de résoudre ce problème du fini/infini. Ensuite, quand l’esprit humain fut capable d’envisager l’infini, l’expérience montra que l’univers était fini[5].
Pour le temps, c’est plus compliqué.
Si l’on ne s’interroge pas sur la fin du monde, il y a de nombreux récits de création. Dans les uns, les dieux ont tout simplement préexisté, dans d’autres, la création sort du néant ou de son contraire le chaos.
Mais la phrase « au commencement, Dieu créa le ciel et la terre… » a amené la question de l’avant : que faisait Dieu avant qu’il eût créé le ciel et la terre ? Saint Augustin dans ses Confessions (livre XI) en donne une réponse astucieuse : « Qu’est-ce donc que le temps ? Quand on ne me le demande pas, je le sais, mais dès qu’on me le demande et que je tente de l’expliquer, je ne le sais plus »[6].
Sa réflexion est centrée sur la créature, affectée par un déficit d’être. À la différence de Dieu, qui est permanent, l’homme est éphémère : « Tes années[7] ni ne vont ni ne viennent ; les nôtres vont et viennent » (XI, 13, 16). Il s’interroge donc sur la nature du temps. On a d’un côté le passé (ce qui a été) et de l’autre l’avenir (ce qui n’est pas encore), les deux étant séparés par un point, le présent. Tous les moments du temps, à mesure qu’ils passent, se disposeraient sur cette ligne.
« Ces deux temps-là donc, le passé et le futur, comment sont-ils, puisque s’il s’agit du passé il n’est plus, s’il s’agit du futur il n’est pas encore ? Quant au présent, s’il était toujours présent, et ne s’en allait pas dans le passé, il ne serait plus le temps, mais l’éternité… Nous ne pouvons dire en toute vérité que le temps est par ce qu’il tend à ne pas être. » (XI, 14, 17)
Le temps n’a pas d’existence réelle. Mais, pourrait-on rétorquer, puisque l’on peut le mesurer, comment pourrait-il ne pas être ?
En vérité, l’esprit humain mesure un mouvement (un sablier qui se vide) et utilise cette mesure pour évaluer le temps. Cela se passe dans son esprit, l’esprit d’une créature imparfaite, éphémère. Dieu est un éternel présent (« Ton aujourd’hui, c’est l’éternité » [XI, 13, 16]), le temps est humain et donc il n’y a pas, pour Dieu, « d’avant » la création.
La réponse de la cosmologie à ces problèmes est le Big Bang.
La théorie de la relativité d’Einstein a confirmé l’intuition de Saint Augustin comme quoi, le temps n’a rien d’absolu, qu’il est lié à l’esprit humain et à sa manière de le mesurer. Pour définir une mesure, il nous faut un mouvement périodique : cela a été longtemps la rotation de la terre et l’alternance lumière et pénombre (un jour). Hélas, ce mouvement n’est pas aussi précis ni aussi régulier que souhaité. Actuellement, on utilise la période d’oscillation du Césium. La précision de cette horloge (il y a 9 192 631 770 périodes par seconde donc on peut mesurer le temps écoulé à 1/9 192 631 770 s près) a permis de montrer lorsque l’on voyage en avion, le temps s’écoule moins vite que si l’on reste sur place[8] ! Le temps est ainsi relié au mouvement donc à l’espace et aux objets que contient cet espace (plus précisément, la gravité déforme le temps). Les équations mathématiques vont montrer que plus on s’approche de l’instant zéro, plus l’espace-temps se dégrade et ainsi, on ne peut jamais reculer assez pour atteindre l’instant zéro. Donc il n’y a pas d’avant la création.
La fin de l’univers ? Cela dépend de la quantité de matière de l’univers. S’il y en a suffisamment pour que la force d’expulsion due au big bang soit compensée par la force d’attraction, l’univers va s’effondrer, c’est dire se contracter, ce sera le Big Crunch. Attention, il y a fort à parier que le dernier instant sera aussi long que le premier. Bref, on n’en verra pas la fin. S’il n’y en a pas assez, l’univers continuera à s’étendre indéfiniment.
On a découvert récemment que, contrairement à la théorie, l’expansion s’accélérerait. Dans ce cas, à partir d’un certain seuil, la lumière venant des autres galaxies ne parviendrait plus, puis nous ne verrions plus les étoiles de notre propre galaxie. L’espace interatomique pourrait devenir tel que la force de gravité ne maintiendrait plus les atomes… Seules des particules circuleraient sans jamais se rencontrer.
Même chose pour l’espace. L’univers est-il fini ? Oui. Alors qu’y a-t-il après la fin, au-delà des frontières ? La réponse est : il n’y a pas de fin. Regardez la terre ! Elle est finie et pourtant, il n’y a pas de bord. L’univers c’est un peu comme la surface d’un ballon en train de se gonfler. Il grossit, il est fini et il n’y a rien d’autre. L’expansion de l’univers résulte du fait constaté que les galaxies s’éloignent de nous dans toutes les directions.
Quant à l’homogénéité de l’univers, la réponse semble globalement positive (avec un fond diffus cosmologique – ce qui correspond à l’état de l’univers au tout début très homogène à grande échelle). On notera toutefois que ce sont les petites variations locales qui sont à l’origine des galaxies : la vie est née de cette hétérogénéité.
Quand il a écrit son livre « Les Somnambules » qui raconte la vie de Kepler, Arthur Kœstler a rappelé qu’avant pour justifier qu’une pomme qu’on lançait ne tombait pas à la verticale, les érudits du Moyen Âge faisaient intervenir des anges qui soutenaient la pomme. Maintenant, c’est plus clair, nous utilisons quatre dimensions, voire six ou neuf (théorie des cordes).
Dieu
« Dieu dit à Moïse : Je suis celui qui est. Et il ajouta : c’est ainsi que tu répondras aux enfants d’Israël “celui qui s’appelle « je suis » m’a envoyé vers vous”. Exode 3-14.
La métaphysique, en étant à la recherche du principe premier, pose la question de l’existence de Dieu. On peut la considérer comme une théologie rationnelle (c’est-à-dire un discours rationnel sur Dieu) alors que la religion serait une théologie révélée (c’est-à-dire s’appuyant sur l’autorité de textes, de témoignages, de révélation).
Paradoxalement, cette question « Dieu existe-t-il ? » est la plus importante en philosophie et, si vous ne vous la posez pas, c’est que vous y avez déjà répondu. En effet, notre projet est de déterminer le bien et le mal, ce qu’il faut faire ou ne pas faire, afin d’agir correctement. Or si Dieu existe, le bien c’est ce qu’il veut, le mal c’est ce qu’il interdit. Plus besoin de savoir quelle est notre place dans l’univers, c’est celle qu’il nous octroie. Plutôt que de réfléchir si on peut ou pas frapper ses enfants, allons chercher dans les Saintes Écritures la réponse[9].
Pour répondre à la question de son existence, il faut d’abord dire ce que nous entendons par Dieu. Son principe premier est d’être une volonté : il crée l’univers. Mais les religions lui assignent d’autres caractéristiques : il est tout puissant, il s’intéresse à sa création, à nous en particulier.
Débat ontologique
Ne nous attardons pas sur le débat ontologique (on s’appuie sur la définition de Dieu pour montrer son existence ou son inexistence). Voici deux arguments, l’un pour, l’autre contre, pour en montrer l’inanité.
Saint-Anselme de Cantor (1033-1109) arrivera ainsi à démontrer l’existence de Dieu en raisonnant sur la qualité « tout-puissant » associée à Dieu. Son argumentation se formule souvent ainsi :
- Dieu est un être parfait ou tout puissant [« je peux le concevoir, il existe donc dans mon intellect » dit Saint-Anselme].
- Une perfection qui ne comprendrait pas l’existence [dans le réel] ne serait évidemment pas complète donc imparfaite. De même un être tout puissant, mais sans existence, serait plus faible qu’un être tout puissant réel.
- Donc, Dieu est aussi doté de l’existence[10].
Ainsi l’homme par sa seule pensée crée Dieu puisqu’il lui a suffi de concevoir Dieu (être tout puissant) pour qu’il existe.
Inversement, pour contester l’omnipotence de Dieu (et donc son existence), on avance régulièrement le paradoxe suivant : un être omnipotent peut-il créer un être ou un objet qui limite sa puissance ?
Par exemple : Dieu est-il capable de créer un rocher si lourd qu’il ne peut pas le soulever ? Si oui, alors le rocher est à présent impossible à mouvoir et il limite la puissance de Dieu. Dans le cas contraire, Dieu n’est pas non plus tout puissant parce qu’il ne peut pas créer ce rocher.
Il existe deux réponses à cet argument.
- Celle d’une nature divine qui dépasse notre logique. Par exemple, un ensemble infini est, par définition (en mathématiques), un ensemble qui est strictement inclus dans un de ses sous-ensembles – c’est-à-dire qu’il contient quelque chose qui le contient strictement (c’est-à-dire qu’ils ne sont pas égaux, que ce sous-ensemble a des éléments en plus), ce qui semble totalement impossible. Or Dieu est infini, il peut donc très bien créer un être qui lui soit et supérieur et infiniment inférieur !
- Celle de Pierre Dac[11] : « Oui, Dieu peut le faire ». Pouvoir n’est pas faire. Quant à contraindre Dieu à le faire… ! Comme il est de son pouvoir de créer ou non une telle roche, il reste plus puissant que la roche tant que celle-ci n’existe pas.
En mélangeant tout, en voulant s’appuyer sur la définition du concept pour essayer de le comprendre, la métaphysique a échoué et rendu la philosophie très « théorétique » (terme philosophique pour dire cérébrale), coupée de toute réalité, de tout bon sens. Bergson parlera de « vacuité » du débat.
Preuves matérielles
Délaissant ce débat ontologique, on s’est penché sur la recherche de preuves matérielles de l’existence ou de la non-existence de Dieu. Mais cela tourne court !
Les « miracles » ne peuvent prouver l’existence de Dieu. Par définition, ce sont des événements extraordinaires, que l’on ne peut reproduire et donc étudier sérieusement. Pour beaucoup, le hasard est une explication tout à fait crédible.
Inversement, comment prouver l’inexistence d’un objet ou d’un être dont nous ne connaissons rien ? Ainsi, nous ne pouvons prouver ni l’inexistence de Dieu ni celle de Kounchgaya. Voilà pourquoi, certains préfèrent se dire agnostiques (je ne sais pas) plutôt qu’athées (Dieu n’existe pas).
Argument de l’existence du mal
Les religions avancent des qualités aux dieux : sa puissance, sa bonté, ses écrits. Du coup, nous avons les moyens de mettre en défaut non pas son existence, mais ses vertus minimales : toute-puissance, amour des hommes.
Ainsi un argument est mis en avant, celui de l’indigence de la Création : comment Dieu, être parfait, aurait-il pu créer un monde imparfait ? En particulier, pourquoi le mal existe-t-il ? Argument qui a pris une grande ampleur avec l’Holocauste (et que dire des catastrophes naturelles où la responsabilité humaine n’est pas engagée ?).
La réponse classique de l’existence du mal – permettre à l’homme de faire des choix, d’être libre de choisir entre le bien et le mal – est-elle encore tenable lorsque les victimes se comptent par millions, voire par centaines de millions ?
Hans Jonas – Concept de Dieu après Auschwitz : « Dieu s’est tu. Les miracles qui se produisirent vinrent seulement d’êtres humains : ce furent les actions de ces justes, isolés, inconnus parmi les nations, qui ne reculèrent pas devant l’ultime sacrifice pour sauver Israël, pour adoucir son sort, voire, s’il ne pouvait en être autrement, pour le partager à cette occasion. Je parlerai d’eux ultérieurement. Mais Dieu, lui, s’est tu. »
Lactance, De ira dei, 13, 20-2, résume bien cette interrogation : “Dieu, ou veut éliminer le mal et ne le peut (vult tollere mala neque potest), ou le peut et ne le veut pas, ou ne le veut ni le peut, ou le veut et le peut. S’il le veut et ne le peut, il est impuissant, ce qui ne convient pas à Dieu. S’il le peut et ne le veut, il est méchant, ce qui est tout aussi étranger à Dieu. S’il ne le peut ni ne le veut, il est à la fois impuissant et méchant, il n’est donc pas Dieu. S’il le veut et le peut, ce qui convient à Dieu, d’où vient donc le mal ou pourquoi ne le supprime-t-il pas ?”
Une autre réponse, celui du mal qui serait un bien, laisse dubitatif quand il s’agit de la Shoah, de génocides ou de catastrophes naturelles.
La troisième possibilité, celui d’une punition, est quelque peu rétrograde alors que la plupart des religions insistent désormais sur la bonté de Dieu.
Quant à la réponse donnée par Dieu à Job « qui es-tu, toi, pour me juger ? Étais-tu là quand j’ai créé ces montagnes ? », elle semble terriblement inhumaine (sic). Elle reste cependant la seule intellectuellement acceptable. Les voies de Dieu sont impénétrables. Dès lors, comment juger que la Création est imparfaite ?
« Père s’il est possible, éloigne de moi ce calice ! Toutefois, non pas ma volonté, mais la tienne. » Luc 22.42.
Problème des écrits
On peut également montrer comme preuve de l’inexistence de Dieu les erreurs contenues dans les Écrits. Ceux-ci, expressions de la pensée divine, sont censés être vrais et éternels.
Il est évident que de nombreux passages des écrits ne correspondent plus à nos connaissances scientifiques (la théorie de l’évolution s’oppose à TOUS les récits de création du monde, car dans tous, l’homme et la femme sont créés ex nihilo) ni à notre conception de la société (place de la femme dans la société, acceptation de l’esclavage, etc.).
Le croyant a alors plusieurs attitudes :
- considérer une partie du texte comme des allégories : la création du monde, le jardin d’Éden…
- moderniser l’interprétation des Écrits : la Réforme, par exemple, fera du travail une vertu permettant une approche de Dieu, alors qu’avant, c’était la méditation qui était mise en avant
- ou contredire les faits lorsque ceux-ci sont contraires aux Écrits.
Une fois à la télévision, j’ai entendu un créationniste expliquer tranquillement qu’il n’y avait jamais eu de dinosaures, que les os trouvés dans la terre avaient été déposés par Dieu, lui-même, pour éprouver notre foi.
Son argument, bizarrement, est recevable.
Toute preuve matérielle pour prouver l’inexistence de Dieu, tout raisonnement qui conduirait à la même conclusion peut n’être, si Dieu existe, qu’un moyen de tester notre foi ! Il est impossible dans ces conditions de prouver l’inexistence de Dieu.
Débat scientifique
Comme il n’y a pas de preuve tangible de l’existence ou de l’inexistence de Dieu, certains ont tenté une approche scientifique : il y a les « scientifiques » qui pensent que l’on ne peut pas expliquer le monde sans l’hypothèse Dieu et ceux qui n’ont pas besoin de cette hypothèse.
Pasteur : « Un peu de science éloigne de Dieu. Beaucoup y ramène… ».
Laplace à Bonaparte : « Citoyen premier Consul, je n’ai pas eu besoin de cette hypothèse ».
Les croyants en la nécessité d’une intervention divine mettent en avant deux éléments : la création de l’univers et la perfection de la création (d’un point de vue matériel). On notera que son « imperfection », c’est-à-dire l’existence du mal, est un argument contre l’existence de Dieu !
La cause première
William Lane Craig a formalisé, en 1979, cet argument de la cause première (mais d’autres, Platon, Aristote, saint Thomas d’Aquin, Leibniz, etc. l’avaient formulée avant lui). Il s’agit de l’impossibilité de l’existence de l’univers sans une cause première. Le raisonnement est le suivant :
- Tout ce qui commence à exister a une cause de son existence.
- L’univers a commencé à exister.
- Donc l’univers a une cause de son existence.
Longtemps, l’univers avait été considéré comme éternel et statique, la théorie du Big Bang qui s’impose dans la deuxième partie du XXe siècle va décrire un univers naissant, il y a quelque treize milliards d’années. Ainsi le deuxième terme de ce syllogisme a été vérifié.
Le point faible de ce syllogisme est l’affirmation « Tout ce qui commence à exister a une cause de son existence ». Pourquoi l’univers ne serait-il pas une exception ?
Rappelons que, dans la théorie du Big Bang, le début de l’univers se situe à l’instant 0 et que cet instant n’existe pas ! (Pas d’instant 0, alors quand placer la cause qui, en principe, précède la réalisation ?)
Enfin, si on conclut à l’existence d’une cause première, il y a loin entre une cause et un créateur, notion qui sous-entend une volonté.
La beauté et la complexité de la création
Penchons-nous maintenant sur l’argument de la complexité de l’Être. Plus la science avance, plus on découvre de beautés dans l’univers, sur terre, chez les animaux, chez l’homme, plus l’argument que tout ceci ne serait que le fruit du hasard semble dérisoire et renforce l’idée d’un « dessein intelligent » pour la création. Des physiciens s’étonnent de la qualité de certaines constantes, une variation de quelques centièmes et l’univers tel qu’on le connaît n’aurait pas été, idem pour l’apparition de la vie, la conscience.
Voltaire (1694-1778), Les Cabales : « L’univers m’embarrasse, et je ne puis songer/Que cette horloge existe et n’ait point d’horloger ».
Vanini, avant de mourir, « ramassant un brin d’herbe, expliqua que tout le problème de la vie, de ses transformations merveilleuses et incessantes, que tout ce que nous attribuons à la Providence divine, est déjà là, inclus dans le brin d’herbe auquel nous ne prêtons pas attention… Dieu se manifeste à chaque instant… par la Nature, reine et déesse des mortels ».
William Paley reprend l’argument de Voltaire : « Si je trouve une montre sur le sol, je ne peux croire que la montre était là de tout temps, qu’elle n’a pas été perdue ou déposée par un être intelligent. »
Illustrons ce débat avec le problème de l’apparition et de l’organisation de la vie sur terre.
Qu’est-ce que la vie ?
M. Foucault, Les Mots et les Choses : « Jusqu’au XVIIIe siècle, la vie n’existe pas, il y a seulement des êtres vivants. […] On a l’habitude de répartir les choses de la nature en trois classes : les minéraux, auxquels on reconnaît la croissance, mais sans mouvement ni sensibilité ; les végétaux qui peuvent croître et qui sont susceptibles de sensation ; les animaux qui se déplacent spontanément ».
Prenons comme définition d’un être vivant deux aptitudes essentielles : assurer son existence, c’est-à-dire être en relation avec un milieu extérieur grâce auquel on se nourrit et on se développe ; assurer sa permanence, c’est-à-dire être capable de se reproduire (ainsi, on peut clairement affirmer que le monde minéral ne fait pas partie de la vie, mais que cela concerne le monde végétal et le monde animal). Ces deux caractères permettent de lutter contre la disparition d’où la formule du professeur Bichat (1771-1802) : la vie est « l’ensemble des fonctions qui résistent à la mort ».
À première vue, on constate que la nature est une grande machine. Les êtres vivants, comme la matière, sont soumis à des lois.
Ce dont on est sûr (excepté les créationnistes qui interprètent la bible de manière littérale et, par conséquent, considèrent que la nature est aujourd’hui telle qu’elle a été conçue par Dieu le 6e jour), c’est que la vie s’est complexifiée avec le temps. Par quel processus ? Voilà la question. Deux thèses s’affrontent où l’on retrouve le débat sur l’existence ou non de Dieu, entre d’un côté le « dessein intelligent » et de l’autre « le hasard et la nécessité ».
Pour les partisans du dessein intelligent, la Nature, dans son ensemble, obéirait à un plan qui expliquerait sa complexification de la pierre à l’homme. En particulier, l’être vivant semble avoir été conçu pour réaliser ce qui constitue son essence : un cheval pour galoper, un oiseau pour voler… Ainsi, on peut classer tous les êtres selon sa proximité plus ou moins proche de l’être humain considéré comme la finalité : l’organisme parfait. Au XVIIIe siècle, des médecins de l’École de Montpellier avancent l’idée d’une espèce de « force vitale ». Pour beaucoup de biologistes, de chimistes, certains groupes d’éléments biologiques, d’ADN sont trop complexes pour être le résultat du hasard et d’un processus de sélection.
L’évolution ne se fait pas sous la contrainte du milieu, mais est orientée par elle. Les mutations ne sont plus aléatoires, mais contrôlées : l’individu développe telle ou telle de ses capacités pour s’adapter au milieu.
Deuxième idée : la nature commence par créer des êtres simples, qu’elle complexifie avec le temps ; quand l’individu est suffisamment complexe, l’évolution s’arrête (existence d’espèces qui n’ont pas bougé depuis des millénaires).
Bref, une évolution inscrite dans les espèces, un projet qui s’adapte en fonction du milieu.
Claude Bernard, le Cahier rouge (1860) : « Quand nous voyons, dans les phénomènes naturels, l’enchaînement qui existe de telle façon que les choses semblent faites dans des buts de prévision, comme l’œil, l’estomac, etc., qui se forment en vue d’aliments, de lumières futures, etc., nous ne pouvons nous empêcher de supposer que ces choses sont faites intentionnellement, dans un but déterminé ».
Si les individus se modifient en s’adaptant à leur environnement, c’est en développant tel organe plutôt que tel autre, la transformation étant transmissible à la descendance (hérédité des caractères acquis)[12]. Toutes les mutations sont donc orientées.
Grassé, le Darwinisme aujourd’hui (1979) : « La thèse de l’évolution chaotique verse dans l’absurde ».
Face à eux, il y a les tenants du hasard et du mécanisme de sélection naturelle (adaptation à l’environnement). Si on n’a pas trouvé tous les mécanismes nécessaires pour expliquer les étoiles, les planètes, la vie, la conscience, l’hypothèse Dieu (c’est-à-dire d’une volonté dans la création) s’est révélé à chaque fois inutile. De plus l’apparition de l’homme à partir du singe, montre une évolution contraire à l’idée d’un dessein volontaire : impasse de certaines voies (des préhommes n’ont pas eu de descendance), échecs.
Ils avancent même un argument étonnant : ce mécanisme (le hasard et la nécessité) est plus capable de produire des objets complexes que l’intelligence humaine ! Un exemple est la recherche du plus court chemin pour aller d’un point à un autre à travers un réseau. Lorsque le nombre de possibilités est trop grand, les algorithmes les plus efficaces sont ceux utilisant le hasard et la sélection, un des algorithmes s’appelle d’ailleurs algorithme génétique.
Cette théorie s’est mise en place en deux temps.
La théorie de Darwin (1809-1882) sur l’évolution des espèces est fondée sur la compétition entre les jeunes membres de chaque espèce pour leur survie. Seuls, les jeunes les mieux adaptés à leur milieu pourront survivre et éventuellement se reproduire.
Au XIXe et au XXe siècle, trois découvertes majeures ont confirmé/amélioré ce point de vue :
– La théorie cellulaire : la cellule est commune à tous les êtres vivants. Cela permet aussi de mieux comprendre les échanges avec le milieu qui nous entoure.
– La génétique qui permet de comprendre la transmission héréditaire des caractères et contribue à mieux cerner le phénomène de la reproduction.
– Il restait un dernier élément à mettre en place : le développement des probabilités permettant de mieux comprendre les mécanismes du hasard. Des erreurs infimes apparaissent lors de la transmission du code génétique. Si, à l’échelle de la division cellulaire, les mutations génétiques sont exceptionnelles, à l’échelle d’une population, elles se produisent de façon extrêmement fréquente puisqu’elles représentent à chaque génération le produit de leur probabilité par le nombre d’individus de la population.
Mais parmi toutes ces mutations « essayées » au hasard, seules celles qui ne portent pas atteinte à la survie de l’individu sont maintenues (les individus concernés peuvent comme les autres se nourrir et se reproduire), les autres, la grande majorité, sont éliminées avec les organismes qui les ont eues : le mouton à cinq pattes se révèle trop frêle, il n’aura pas de descendant. Certains apportent un plus pour survivre dans son environnement ou pour adopter un nouveau comportement mieux adapté (dans la savane, la station debout permet de voir au loin). Tout cela forme ce que l’on appelle la « pression de sélection ». Ce plus en améliorant les chances de survie des individus porteurs du nouveau caractère va accroître leur proportion à la génération suivante, le caractère va devenir prépondérant et l’espèce aura évolué.
Ainsi nulle finalité en vue pour l’évolution, tout n’est que hasard : « Le destin s’écrit à mesure qu’il s’accomplit, pas avant ».
Jacob, le jeu des possibles (1981) : « Le monde de l’évolution que nous connaissons, le monde vivant que nous voyons autour de nous, est tout sauf le seul monde possible. L’évolution est une nécessité dans la mesure où les organismes vivants, interagissant avec le milieu, se reproduisent, entre en compétition les uns avec les autres, donc change. […] Mais il est vraisemblable que nous aurions pu ressembler à quelque chose de complètement différent, que nous aurions pu ne pas ressembler du tout à ce que nous sommes et surtout que nous pourrions ne pas être là, que le monde vivant pourrait être complètement différent de ce qu’il est ».
Conclusion
Le créationnisme semble totalement dépassé, l’évolution une évidence.
Les deux explications, une évolution inscrite dans nos gènes et une évolution provoquée par le hasard et contrôlée par la nécessité, offrent à l’homme une place différente dans le processus de création. Dans la première, c’est une fin de l’évolution, dans la seconde, un accident.
Le problème de la qualité des constantes physiques dont toute variation importante aurait déstabilisé l’univers, preuve pour les uns que celui-ci a été voulu, simple hasard pour les autres (si les constantes avaient été différentes, nous ne serions pas là pour nous émerveiller qu’elles sont telles qu’elles sont) ont amené certains partisans de la seconde option à imaginer un multivers (une infinité d’univers) afin que, quel que soit l’improbabilité d’un tel événement, il se produise et donc que notre univers devienne non seulement possible, mais très probable.
Mais, en réalité, le débat se situe à un autre niveau. Derrière le dessein intelligent, il y a l’idée d’une volonté, c’est-à-dire l’existence de Dieu. Un Dieu qui, toutefois, après avoir créé l’univers, l’abandonne aux lois de la mécanique. Ce Dieu des universalistes (qui se disaient déistes et rejetaient la religion), ce Dieu « en repos », absent en quelque sorte (on n’est pas loin de l’inexistence) ne satisfait ni les uns ni les autres, ni ceux qui voulaient donner une base scientifique à leur foi (comprise comme acceptation d’une religion) ni ceux qui y voient une fausse réponse à de vrais problèmes : « L’hypothèse Dieu n’est pas nécessaire ».
Ainsi aux questions « D’où viens-je ? Où vais-je ? », certains répondent « je suis un accident et je ne sais où je vais » car le hasard mène le bal, alors que pour d’autres, une volonté (Dieu ?) guide le monde et nous ne sommes qu’une étape vers la perfection (Dieu ?). Reste la question « Qui suis-je ? » qui sera traitée plus loin.
Dieu, nécessité morale
Un dernier argument pour justifier l’existence de Dieu est celui de sa nécessité, non pas pour expliquer le monde, mais pour permettre au monde de vivre. C’est bizarrement Nietzsche, en tirant les conséquences de la mort de Dieu, qui pose le plus clairement la question, car il souligne la disparition de toutes les valeurs morales liées à la croyance.
« En renonçant à la foi chrétienne, on se dépouille du droit à la morale chrétienne. Cela ne va absolument pas de soi (…). Le christianisme est un système, une vision des choses totale, où tout se tient. Si l’on en soustrait un concept fondamental, la foi en Dieu, on brise également le tout du même coup : il ne vous reste plus rien qui ait de la nécessité. » Nietzsche – Le Crépuscule des idoles.
Il précise « tout ce qui doit réellement s’effondrer, une fois ruinée cette croyance, car bâti sur elle, et pour ainsi dire enchevêtrée en elle : par exemple notre morale européenne dans sa totalité » – Le gai savoir.
Dostoïevski soulève la même question :
« Mais alors, que deviendra l’homme, sans Dieu et sans immortalité ? Tout est permis, par conséquent, tout est licite ? ».
L’existence de Dieu, c’est l’existence de valeurs morales objectives (car ne dépendant pas de nous), donc universelles. L’humanisme a-t-il un sens sans Dieu ? Ne risque-t-on pas de voir monter l’égoïsme, l’individualisme ? N’est-ce pas déjà le cas ?
Ne vaut-il pas mieux, dans ces conditions, même s’il n’existe pas, faire semblant ? Dieu est mort, doit-on le ressusciter ?
Conclusion
Nous voilà, en réalité, revenus à notre introduction.
Si Dieu existe, c’est lui qui définit le bien et le mal. Il m’appartient dès lors uniquement de chercher les réponses dans les Écrits ou auprès de la hiérarchie religieuse (imam, curé, bonze, achar), bref de demander aux autres de décider.
Si Dieu n’existe pas, il n’y aurait plus de valeurs morales objectives, universelles, et la décision du bien et du mal serait du ressort de chacun. Peut-être, peut-être pas ! C’est en tout cas l’ambition du philosophe de chercher à en définir une. Pas seulement pour lui, mais aussi pour les autres. Y a-t-il une morale universelle, malgré l’absence du divin ? C’est le but de ce voyage.
« En effet, nous autres philosophes et “esprits libres”, à la nouvelle que “le Dieu ancien est mort”, nous nous sentons illuminés d’une aurore nouvelle ; notre cœur en déborde de reconnaissance, d’étonnement, d’appréhension et d’attente. Enfin l’horizon nous semble de nouveau libre. Enfin nos vaisseaux peuvent de nouveau mettre à la voile, voguer au-devant du danger, tous les coups de hasard de celui qui cherche la connaissance sont de nouveau permis ». Nietzsche – le Gai Savoir.
Qu’ils soient croyants ou non, beaucoup de penseurs reprendront cette idée qu’ici-bas, il faudra plutôt faire sans qu’avec.
Platon : « Chacun est responsable de ses choix, Dieu est innocent » (La République).
Descartes : « Je me trouvai comme contraint d’entreprendre moi-même de me conduire » (Discours de la méthode).
Céline : « Nous vie est un voyage/ Dans l’hiver et dans la nuit/ Nous cherchons notre passage/ Sous le ciel où rien ne luit » (Voyage au bout de la nuit – chanson des gardes suisses)
Sartre : « Il n’y a pas de signes dans le monde » (l’existentialisme est un humanisme)
Kennedy : « Ainsi que vous soyez citoyens de l’Amérique ou du monde, allons de l’avant sur cette Terre que nous aimons, demandant à Dieu sa bénédiction et son aide, mais en sachant bien qu’ici, sur la terre, le travail de Dieu doit être, en réalité, le nôtre » (Discours d’investiture).
L’homme
La Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948 affirme dans son « Préambule » que « tous les êtres humains sont doués de raison et de conscience ».
On notera qu’il n’est pas dit que c’est le seul être doté de raison et de conscience.
Mais qu’est-ce que la conscience ? Que peut-on dire de cette dualité âme-corps ? La conscience existe-t-elle ou bien l’homme se réduit-il à son corps ? Un objet peut-il avoir une conscience (« Objets inanimés, avez-vous une âme ? » demandait Lamartine) ? Et un animal ? Un fœtus ? Est-ce cela qui fait de nous des hommes, ces créatures « supérieures » au reste du monde animal, végétal, minéral ?
Descartes : je pense donc je suis
C’est Descartes qui relance la métaphysique dans ses Méditations et son discours de la Méthode avec son célèbre « Je pense donc je suis ».
Le texte se proposait de « démontrer » la dualité du corps et de l’âme (ou de la conscience pour les non-croyants) ET l’existence de Dieu. La première partie « l’homme ne saurait se résumer à son corps » est plébiscitée et la démonstration reprise à l’envie, la seconde « si l’âme existe, Dieu existe » est systématiquement oubliée[13]. Il faut dire qu’elle est du niveau de celle d’Anselme et montre que les qualités (indéniables) de mathématicien de Descartes ne peuvent être une preuve de la qualité de sa démonstration. Mais reprenons celle-ci :
Dans un premier temps, il doute de tout, s’imagine en train de rêver et que ses sens, comme son raisonnement, peuvent le tromper. Songez au film Matrix[14].
« […] je pensai qu’il fallait que […] je rejetasse, comme absolument faux, tout ce en quoi je pourrais imaginer le moindre doute afin de voir s’il ne resterait point, après cela, quelque chose en ma créance, qui fût entièrement indubitable. Ainsi, à cause que nos sens nous trompent quelquefois, je voulus supposer qu’il n’y avait aucune chose qui fût telle qu’ils nous la font imaginer ».
Il réalise alors que tout ce qui nous entoure, notre corps y compris, peut n’être que rêve, mais que pour penser, pour rêver, il faut être (c’est le fameux « Je pense, donc je suis » qui est une tautologie [je… donc je suis][15]) donc que la seule chose dont il soit sûr est de son existence en tant qu’être pensant (pas de l’existence de son corps).
« Mais, aussitôt après, je pris garde que, pendant que je voulais ainsi penser que tout était faux, il fallait nécessairement que moi qui le pensais fusse quelque chose. Et remarquant que cette vérité : je pense, donc je suis, était si ferme et si assurée, que toutes les plus extravagantes suppositions des sceptiques n’étaient pas capables de l’ébranler, je jugeai que je pouvais la recevoir, sans scrupule, pour le premier principe de la philosophie que je cherchais. »
Voilà maintenant le nœud de la démonstration : puisqu’il peut feindre de ne pas avoir de corps, mais qu’il ne peut feindre de ne pas avoir de conscience, c’est la preuve que la conscience existe indépendamment du corps.
« Puis, examinant avec attention ce que j’étais, et voyant que je pouvais feindre que je n’avais aucun corps et qu’il n’y avait aucun monde aucun lieu où je fusse ; mais que je ne pouvais pas feindre, pour cela, que je n’étais point ; et qu’au contraire, de cela même que je pensais à douter de la vérité des autres choses, il suivait très évidemment et très certainement que j’étais ; au lieu que, si j’eusse seulement cessé de penser, encore que tout le reste de ce que j’avais imaginé eût été vrai, je n’avais aucune raison de croire que j’eusse été : je connus de là que j’étais une substance dont toute l’essence ou la nature n’est que de penser, et qui, pour être, n’a besoin d’aucun lieu, ni ne dépend d’aucune chose matérielle. En sorte que ce moi, c’est-à-dire l’âme par laquelle je suis ce que je suis, est entièrement distincte du corps, et même qu’elle est plus aisée à connaître que lui, et qu’encore qu’il ne fût point, elle ne laisserait pas d’être tout ce qu’elle est. »
L’ennui de ce raisonnement, c’est le mot « feindre ». Si l’on peut, en un lieu, rencontrer l’âme sans le corps alors il s’agit effectivement de deux entités différentes. Mais feindre de le faire ?
Le raisonnement de Descartes pour prouver l’existence de l’âme est le suivant : si je n’ai pas de corps, je m’aperçois que, malgré tout, mon esprit existe. Je suis donc dans une situation telle que l’esprit existe et le corps non, donc que je puis affirmer que l’esprit est distinct du corps. Mais ce raisonnement est biaisé par la condition « je n’ai pas de corps » (dont, par ailleurs, il démontre plus loin dans son raisonnement que c’est faux[16]).
Notons que ce n’est pas parce qu’une démonstration est fausse que sa conclusion l’est.
Descartes a relancé l’idée de la dualité corps-esprit, beaucoup de philosophes, s’appuyant sur le prestige du grand mathématicien, vont considérer comme démontré l’existence de l’esprit.
La dualité corps-esprit
Dans la vie courante, esprit, âme et conscience sont des synonymes, l’âme ayant une petite coloration religieuse.
L’esprit, c’est la partie incorporelle de l’être humain, par opposition au corps, à la matière. C’est de loin la notion la plus claire des trois. Cela recouvre nos capacités intellectuelles et on confond souvent esprit et intelligence ou discernement et on parle « d’avoir de l’esprit » ou « d’avoir l’esprit ouvert ».
Nos capacités intellectuelles [intelligence, sentiments] restent cependant très liées à notre corps [cerveau, nerfs, pleurs, etc.], aussi a-t-on voulu séparer celles-ci [qui constituera dans ce cadre l’esprit] de la volonté qui les met en branle ainsi que le corps, faisant ainsi vivre l’individu, on définit alors l’âme. L’âme est donc un principe de vie, de mouvement de l’homme, c’est tout ce qui forme son individualité, le moi profond de celui-ci. Elle anime notre être, corps et esprit. Dans un cadre religieux, la définition est encore plus simple, l’âme est ce qui nous relie à la nature divine.
La conscience, c’est la faculté que nous avons de nous penser et de penser le monde où nous vivons. L’intérêt de l’expression est qu’elle ne marque pas de rupture avec le corps, alors qu’esprit ou âme évoquent une substance différente de celle de la matière.
Être conscient est le propre de l’homme et constitue sa grandeur et sa dignité (du moins est-ce ainsi que les philosophes nous le vendent).
Pascal, Pensées [1660] : « L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature, mais c’est un roseau pensant ».
Friedrich Hegel, Esthétique [1835] : « Les choses de la nature n’existent qu’immédiatement et d’une seule façon, tandis que l’homme, parce qu’il est esprit, a une double existence ; il existe d’une part au même titre que les choses de la nature, mais d’autre part il existe aussi pour soi, il se contemple, se représente à lui-même, se pense… »
L’emploi du « Je » est l’expression de cette conscience de soi et les philosophes de s’extasier quand, après avoir longtemps parlé de lui à la 3e personne, l’enfant dit pour la première fois « Je »[17].
Kant [Anthropologie du point de vue pragmatique] : « Le fait que l’homme puisse avoir le je dans sa présentation l’élève infiniment au-dessus de tous les autres êtres vivants sur la terre ».
Une petite question : l’enfant n’a-t-il vraiment pas conscience de sa personne avant de dire « Je » ou bien n’avait-il pas le vocabulaire pour le dire ? En effet, il comprend bien vite que son prénom le désigne, mais c’est une démarche bien plus compliquée de comprendre qu’il peut se désigner en disant « Je », alors que l’on ne s’adresse jamais à lui en l’appelant ainsi.
Pour ma part, je crains que l’enfant ne soit avant tout égocentrique qu’il se désigne par je ou par son prénom, par exemple « Jean veut bonbons ». Enfant, ce n’est pas grave, cela peut encore se corriger, par contre, certains adultes…
Descartes est le premier, après avoir montré la dualité esprit-corps, à remettre en cause cette dualité en montrant à quel point l’esprit semble enfermé dans le corps allant jusqu’à écrire que les sensations du corps sont « certaines façons confuses de penser » :
Descartes, Méditations philosophiques : « La nature m’enseigne aussi, par ces sentiments de douleur, de faim, de soif, etc., que je ne suis pas seulement logé dans mon corps ainsi qu’un pilote en son navire, mais, outre cela, que je lui suis conjoint très étroitement, et tellement confondu et mêlé que je compose comme un seul tout avec lui. Car si cela n’était, lorsque mon corps est blessé, je ne sentirais pas pour cela de la douleur, moi qui ne suis qu’une chose qui pense, mais j’apercevrais cette blessure par le seul entendement, comme un pilote aperçoit par la vue si quelque chose se rompt dans son vaisseau. Et lorsque mon corps a besoin de boire ou de manger, je connaîtrais simplement cela même, sans en être averti par des sentiments confus de faim et de soif. En effet, tous ces sentiments de faim, de soif, de douleur, etc., ne sont autre chose que de certaines façons confuses de penser, qui proviennent et dépendent de l’union et comme du mélange de l’esprit avec le corps ».
Matérialisme et spiritualisme
La question de la dualité corps-esprit conduit à deux positions : le matérialisme et le spiritualisme.
Le spiritualiste pense qu’en dehors de la vie corporelle, il y a un principe, un substrat à part pour soutenir et expliquer la vie de la pensée, la vie psychologique en général : l’esprit ou l’âme. C’est un dualiste, c’est-à-dire qu’il pose deux substances pour expliquer l’univers dans ses manifestations. Il met la matière sous les corps et l’âme sous la vie psychologique. Descartes parlera de « res cogitans » et de « res extensa ». Le vivant n’est pas réductible aux lois physico-chimiques, mais c’est de la matière animée d’un principe ou force vitale, qui s’ajouterait pour les êtres vivants aux lois de la matière. C’est cette force qui insuffle la vie à la matière.
Remarque : il existe un spiritualisme absolu qui dématérialise la matière en disant que tout est substance spirituelle, tout est atome d’âme, c’est-à-dire monade (Leibniz). La dualité corps-esprit est, ici, rompue au profit de l’esprit.
Le matérialiste lui aussi rompt cette dualité, mais au profit de la matière. C’est un moniste (une seule substance). Tout ce que nous appelons la pensée, la vie, le progrès, dérive mécaniquement d’un processus matériel, corporel.
Par exemple, l’apparition de la vie s’explique par un agencement purement matériel (ainsi, on peut espérer pouvoir fabriquer une cellule vivante en laboratoire ; il ne croit qu’au hasard et à la sélection naturelle)
Pour lui, la pensée n’est pas produite par l’âme comme le penserait un spiritualiste, c’est un produit de l’écorce cérébrale. Ainsi, pour lui, il n’y a qu’une différence de degré et non de nature entre l’homme et l’animal.
Conclusion
On retrouve ici le débat sur l’existence de Dieu, puisque, si l’âme est nécessaire pour animer un corps, il paraît logique que Dieu soit sollicité pour animer l’univers (les spiritualistes sont des déistes).
Alors sommes-nous seulement un corps ?
On voudrait tant, comme les spiritualistes, dire non, dire que nous ne sommes pas que poussière et que nous ne retournerons pas à la poussière, qu’il y a quelque chose… Cette chose, qui justement n’est pas « chose », pas matière, mais volonté dont l’existence est indémontrable, nous conduirait si nous l’acceptons à accepter une volonté plus grande, Dieu. Oh certes, par forcément un Dieu trop présent, mais un créateur, un être qui impulse sa vie au monde, incompatible avec un univers, fruit du hasard et de la nécessité.
Jacques Monod, le hasard et la nécessité :
« Le hasard pur, le seul hasard, liberté absolue, mais aveugle, à la racine même du prodigieux de l’évolution, cette notion centrale de la biologie moderne n’est plus aujourd’hui une hypothèse parmi d’autres possibles ou du moins concevables. Elle est la seule concevable, comme seule compatible avec les faits d’observation et d’expérience. »
Quand on abandonne l’idée de survivre à notre corps, on aimerait encore garder cette petite chose qui nous distingue des autres êtres vivants.
Je dirais qu’à tous les stades de la nature, quand de la matière, de la vie se regroupent, il se crée un nouvel élément qui est plus grand que la totalité des éléments qui le constituent, qui, en quelque sorte, parvient à contraindre les éléments qui le constituent à œuvrer pour le « bien » commun :
- Les atomes par rapport aux neutrons, positrons et électrons, les molécules par rapport aux atomes, la matière par rapport aux molécules, etc. À chaque étape, nous avons des assemblages de plus en plus grands, de plus en plus complexes qui ont des propriétés que n’ont aucune de ses parties.
- Les cellules, puis les premiers corps multicellulaires, etc. jusqu’aux animaux. On notera que le passage des molécules aux cellules est un bond qualitatif et que, si l’on sait à peu près expliquer [et reproduire] comment avec des atomes obtenir telle ou telle molécule, on n’a pas encore maîtrisé le passage de la matière inerte à la vie.
- Et cela s’étend aux groupes animaux ou humains qui sont plus forts, plus efficaces que les animaux isolés, même agissant ensemble, car on voit apparaître une volonté collective qui est autre et plus forte que celle des individus. Cela est particulièrement visible chez les fourmis, totalement incapables de survivre sans fourmilière et travaillant pour le bien de la communauté et donc pour son bien propre. Par bien des égards, une fourmilière réagit comme le corps d’un être vivant. Pour les animaux plus évolués, la contrainte de vivre ensemble est moins forte, mais bien présente : reproduction sexuée obligeant à une vie de couple, nécessité de veiller sur les enfants, faiblesse de l’individu, la sélection naturelle éliminant ceux qui seraient trop individualistes, etc.
Alors, pourquoi ne pas appeler âme, esprit ou conscience, ce qui fait que nous sommes un corps et non la totalité de nos organes ?
« Chez un être qui s’éveille à la conscience, il se produit un changement qualitatif de l’Être tout entier » Ludwig Feuerbach, L’Essence du Christianisme, Introduction.
On notera que cela vaut pour tous les animaux et sans doute pour les végétaux. Ce mécanisme semble inutile pour les objets étant inanimés. Plus l’animal est complexe, plus ce mécanisme doit être évolué. Et que cela s’étend à des regroupements humains : âme d’un peuple.
En tant qu’animal, la conscience humaine doit être de même nature que celle des autres animaux. Cependant, il se peut qu’elle ait continué à se développer à travers l’usage du feu, des outils, etc. D’ailleurs, le cerveau humain s’est physiquement modifié depuis l’homme des cavernes.
L’homme est le seul animal qui ait, en quelque sorte, réussi à échapper à la sélection naturelle. Nous étions frugivores, nous sommes devenus omnivores (avec tendance carnivore) ; nous n’avons ni nageoires ni ailes et pourtant, nous nous déplaçons sur terre, sur mer et dans les airs, etc. Bref, à l’instar des dinosaures autrefois, nous sommes les grands vainqueurs de cette loterie qu’est le darwinisme.
Avec tout cela, on pourrait alors se prévaloir d’une conscience de nature différente de celle des autres animaux [cela reste à étudier, à prouver]. L’apparition du langage a pu être un élément décisif.
Jacques Monod, le hasard et la nécessité : « On peut affirmer aujourd’hui que l’évolution de l’homme, depuis ses plus lointains ancêtres connus, a porté avant tout sur le développement progressif de la boîte crânienne, donc du cerveau. Il a fallu à cela une pression de sélection orientée, continuée, et soutenue depuis plus de deux millions d’années. Pression de sélection considérable, car cette durée est relativement courte et spécifique car on n’observe rien de semblable dans aucune autre lignée : la capacité crânienne des singes anthropoïdes n’est guère plus grande que celle de leurs ancêtres d’il y a quelques millions d’années.
Il est impossible de ne pas supposer qu’entre l’évolution privilégiée du système nerveux central de l’Homme et celle de la performance unique qui le caractérise, il n’y ait pas eu couplage très étroit, qui aurait fait du langage, non seulement le produit, mais l’une des conditions initiales de cette évolution ».
Voici donc notre place : le gagnant de la grande loterie de l’évolution !
Le Monde absurde
Et cela nous pose un gros problème !
L’univers est régi par les lois de la physique, c’est de la matière, tandis que l’homme par celles de sa volonté (même si des contraintes externes vous obligent à faire ci ou ça).
Pascal : « quand l’univers l’écraserait, l’homme serait encore plus noble que ce qui le tue, parce qu’il sait qu’il meurt, et l’avantage que l’univers a sur lui, l’univers n’en sait rien. »
La grandeur et la misère de l’homme sont qu’il peut s’interroger sur son existence et que la nature ne le fait pas. Je ne sais rien de l’univers ni de ce que j’y fais et je voudrais le savoir.
Pour résoudre ce problème, sa première idée est d’imaginer l’univers à son image, d’y chercher une volonté pareille à la sienne : Dieu. Mais Dieu est absent :
« Rien ! / En vain j’interroge, en mon ardente veille,/ La nature et le Créateur ; / Pas une voix ne glisse à mon oreille/ Un mot consolateur ! » (Goethe : Faust)
Certains philosophes croyants qui estiment qu’il y a des signes, des réponses, savent bien qu’au final c’est à nous de les accepter ou de les refuser, de tricher ou pas avec eux. « Ils ont des yeux et ne voient point » dit Jésus dans les Évangiles.
Mais, comme le dirait Nietzsche, « Dieu est mort » et l’univers a cessé d’être habité par une intelligence. L’homme se sent ainsi jeté dans l’existence, dans un univers qui, plus qu’hostile, lui est différent. À quoi bon penser notre existence dans un monde où nous sommes apparus de la simple combinaison du hasard et de la nécessité ?
Alain : « car, dites-moi, qui nous a donné la pensée, cette arme qu’est la pensée sans nous en expliquer l’usage ? ».
[1] Il est amusant de rapprocher la phrase de Parménide (né à Élée à la fin du VIe siècle av J.C.) de l’Exode 3:14 « Et Dieu dit à Moïse : Je suis celui qui est » (L’Exode aurait eu lieu entre 1500 et 1200 av J.C.).
[2] Moins stupide qu’il n’y paraît : quand on songe à sa propre mort, on pense plutôt à ce qui nous survivra qu’à notre néant.
[3] On ne s’attardera pas sur cette « rigueur ». En gros, le non-être par définition ne peut être. L’être, s’il est, a un commencement ou n’en a pas. S’il a un commencement, il ne peut naître de l’être puisqu’il n’est pas encore, il ne peut naître du non-être puisque, par définition, celui-ci n’est pas. S’il n’a pas de commencement, il est infini. Or s’il est infini, il n’est nulle part. Car s’il est quelque part, ce en quoi il est est différent de lui-même et ainsi l’être ne sera plus infini, du moment qu’il sera contenu par quelque chose.
[4] Les sophistes me font penser au courtisan qui, dans Ridicule, le film de Patrice Leconte, après avoir démontré l’existence de Dieu, se tourne vers le roi pour lui dire « et j’aurais pu démontrer le contraire s’il eût plu à Sa Majesté ».
[5] L’expérience est réalisée toutes les nuits : si de tout temps, les étoiles avaient brillé, si l’univers était infini, alors le ciel, la nuit, devrait être clair, car la lumière de toute étoile serait arrivée jusqu’à nous et il n’y aurait aucune raison qu’il n’y ait pas d’étoile dans telle ou telle direction. Bref, la nuit noire prouve que notre univers est fini !
[6] Cette réflexion reste toujours d’actualité, même pour des physiciens.
[7] Il s’adresse à Dieu.
[8] Courez ! Vous vieillirez moins vite !
[9] Je me souviens d’un débat sur la condition de la femme. Le débatteur, bon musulman, mais féministe, combattait la polygamie. Il fit remarquer à ses détracteurs que, certes, le Coran affirmait qu’un homme pouvait avoir quatre femmes, mais il émettait une condition : il fallait que l’homme soit en état de satisfaire à tous les besoins de ces dernières. Cette condition, ajoutait-il, un sourire malicieux aux lèvres, limite sérieusement le nombre d’épouses. Impossible de critiquer, au nom de l’égalité, le précepte de Mahomet ! Il lui fallait interpréter les écrits pour qu’ils coïncident avec ce qu’il pensait de la justice.
[10] On s’appuie ici sur l’idée exposée dans le Parménide que la pensée faisant partie de l’Être, on ne peut rien concevoir qui n’est pas d’existence réelle.
[11] Dans un sketch avec Francis Blanche, Pierre Dac joue le rôle d’un extralucide. Se promenant dans la salle, Francis Blanche demande à son comparse s’il peut deviner la profession d’un spectateur choisi au hasard et Pierre Dac répond sous les applaudissements « Oui, je le peux ».
[12] Jean-Baptiste Lamarck (1744-1829) avance deux idées :
– Les êtres vivants tendent à se complexifier jusqu’à obtenir leur forme idéale.
– Les individus s’adaptent à leur milieu : si les conditions climatiques, géologiques, changent durablement les êtres vivants transforment leur corps (de façon graduelle, mais pas de manière contrôlée, cela peut prendre plusieurs générations). Un organe peut donc se modifier pour répondre à un besoin. De plus cette transformation est héréditaire.
L’auteur de ces lignes avait, enfant, lamarckiste sans le savoir, nourri des canetons avec de la viande pour leur faire pousser des dents afin de voir venir les temps où les poules auront des dents.
[13] Si je souligne ce détail, c’est bien entendu pour amoindrir le prestige de Descartes et vous faire dresser l’oreille et être plus attentif à son raisonnement. Quoi ? allez-vous vous dire, si je ne fais pas attention, si je fais confiance au brillant mathématicien, je vais être convaincu de l’existence de Dieu !
[14] Dans Matrix, les hommes, enfermés dans une caisse, rêvent leurs vies.
[15] Notons cependant que d’un point de vue mathématique (implication) si nous ne pensons pas, nous pouvons être quand même. C’est le cas de la matière. Beaucoup, cependant, entendent que l’homme ne peut être s’il ne pense pas ! Descartes, lui-même, dira que l’on est d’abord un être pensant.
[16] Voici les étapes de tout le raisonnement (incluant l’existence de Dieu) :
1) Descartes présume que le monde matériel n’est que rêve, pensée, que son corps n’est qu’un produit de son imagination.
2) Il constate que son esprit existe puisqu’il pense.
3) De l’existence de son âme, il en déduit celle de Dieu (ne nous y attardons pas. Après tout, si vous croyez en l’âme, pourquoi pas en Dieu ?).
4) L’existence de Dieu, être tout puissant et forcément bon, garantit que nos sens ne nous trompent pas, donc que le monde est réel, mon corps aussi. Bref, il déduit l’existence du monde réel de l’existence de Dieu (alors qu’en général, on procède de façon inverse : on s’extasie du monde et on en déduit devant une telle merveille qu’il existe forcément un dieu).
[17] Et dire que l’on s’agace quand on entend certaines gens pérorer « Je » – ci, « Je » – ça !